Marie-Sophie Pawlak, Elles BougentPouvez-vous nous présenter votre association ?

Elles Bougent est une association dont les membres sont des entreprises et des établissements d’enseignement supérieur. Elle propose de faire découvrir aux jeunes filles, collégiennes ou lycéennes notamment, les métiers d’ingénieures et techniciennes dans des secteurs dits plutôt « masculins » comme les transports (aéronautique, spatial, ferroviaire, automobile…), le bâtiment, la construction, l’informatique…

Quelles sont les activités proposées ?

L’association organise des visites d’entreprises ou des grands évènements, comme Elles bougent s’envole au salon du Bourget, Elles bougent pour la défense, Elles bougent au mondial de l’automobile… Surtout, elle permet aux jeunes filles de rencontrer les « marraines » de l’association : des femmes ingénieures en poste, très jeunes ou plus âgées. En les écoutant, elles peuvent se dire que c’est possible. Elles voient également que les femmes ingénieures sont des femmes « normales », dont le métier ne fait pas perdre la féminité. Car très souvent dans la représentation des médias on imagine que celles-ci ont toujours un casque sur la tête ou portent en permanence une blouse blanche…

Comment avez-vous eu l’idée de créer Elles Bougent ?

Je suis moi-même ingénieure de formation et j’ai notamment travaillé dans le secteur de l’automobile. En 2005, je travaillais dans une école d’ingénieurs où j’étais en charge des relations internationales et des relations avec les entreprises. Dans ce second cadre, j’avais interrogé les DRH (directeurs des ressources humaines) de grandes entreprises sur les profils qu’ils recherchaient pour l’année suivante dans l’objectif d’adapter nos filières. Alors que j’attendais des réponses en termes de profils techniques, ils m’ont répondu qu’ils souhaitaient recruter plus de femmes ingénieures ! La raison, je pense, était la création à l’époque d’un label égalité pour les entreprises. Mais pas seulement. Ces DRH, qui étaient tous des hommes, étaient aussi convaincus des atouts et des bénéfices de la mixité en matière de créativité, d’innovation, d’amélioration du climat social…

Qu’est-ce qui empêche les filles de s’orienter vers certains métiers et secteurs ?

Si les femmes ne choisissent pas certaines filières, c’est parce qu’elles ne les connaissent pas. C’est en partant de ce constat que j’ai créé Elles Bougent. J’avais alors réfléchi et fait un retour sur ma propre carrière. Moi-même j’avais été amenée à travailler dans le secteur automobile suite à une mutation dans ce département, ce n’était ni par choix ni par envie. Et finalement, j’ai découvert un secteur passionnant.

Le problème se situe au niveau sociétal. Tout ce qui touche au bâtiment, au maritime, à l’automobile… est considéré comme des univers d’homme : on le retrouve dans les jouets des enfants. L’industrie souffre aussi d’une image d’Epinal, avec des métiers qui seraient durs ou salissants. Les jeunes filles ne pensent pas à s’orienter vers ces secteurs, ou se disent que ce n’est pas pour elles. 

Le problème est aussi au niveau des prescripteurs : les parents, les professeurs, les conseillers d’orientation. Les garçons vont être plus poussés à essayer de faire une classe prépa, à s’orienter vers le métier d’ingénieur… Pour les filles, on parlera de rechercher à articuler vie privée et vie professionnelle. C’est bienveillant, mais cela manque de hauteur de vue. Quand on oriente vers ces métiers-là, on sait qu’ils permettront de beaux niveaux de carrière. C’est bien d’en faire profiter les filles aussi.

Est-ce que les choses ont progressé depuis la création de Elles Bougent ?

Nous avions fait un sondage auprès de nos membres pour les 10 ans de l’association. Cela nous a permis de constater que les entreprises avaient davantage de filles dans leurs équipes. Dans les grosses entreprises, le recrutement de femmes ingénieures a progressé de 5 %. Le recrutement de techniciennes est lui passé de 10 % à 20-25 %. Pour ce qui est des écoles d’ingénieurs, la proportion d’étudiantes est passée de 10 % à 20 % dans les filières les moins féminisées (mécanique, électronique, numérique…). Donc oui, les choses progressent. Même si cela ne va pas aussi vite qu’on le souhaiterait.

 

Propos recueillis par Raphaëlle Pienne (décembre 2019).