Ousmane Bah, créateur de SolodouQu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a amené à vous impliquer dans l’enseignement du français ?

A l’origine, je n’ai pas fait du tout d’études en ce sens. En Guinée, j’ai suivi un cursus d’économie et de gestion à un niveau bac + 4. J’ai ensuite essayé de me lancer dans la politique, mais cela a mal tourné. Au cours du long périple qui m’a mené jusqu’en France, je suis passé par le Maroc où j’ai enseigné le français pendant deux ans. 


Mais tout a commencé après mon arrivée en France en 2014. J’ai alors eu la chance d’être hébergé dans une famille du 19ème arrondissement de Paris. Ce couple, arrivé lui aussi de l’étranger il y a de nombreuses années, était concerné par le problème de l’analphabétisme. Elle et lui ne sachant ni lire ni écrire, ils rencontraient beaucoup de difficultés dans leurs démarches administratives. J’ai voulu les aider en leur donnant des cours. Cela s’est su dans le voisinage et, au bout d’un mois, des habitants de tout le bâtiment venaient assister à mes cours !

C’est à ce moment que vous avez eu l’idée de Solodou ?

Après avoir entamé ma procédure de demande d’asile j’ai dû déménager dans le 94 et je ne pouvais plus donner mes cours. Mes élèves ne voulaient pas que je les abandonne. J’avais rédigé ma propre méthode d’alphabétisation et mon propre manuel et je me suis dit que j’allais mettre en place une solution pour qu’ils puissent apprendre de manière autonome. C’est alors que j’ai eu l’idée d’une application. Car même s’ils ne savaient ni lire ni écrire, j’avais pu constater que tous mes élèves avaient un smartphone et savaient très bien utiliser les applications.

Comment fonctionne Solodou ?

Avec un kit, qui comprend un manuel d’écriture, un manuel de lecture, un manuel d’explication et une trousse. Les manuels sont complémentaires de l’application et sont importants pour l’écriture. Les élèves peuvent utiliser l’application pour apprendre, puis tester leurs connaissances sur les manuels, avant de les consolider sur des jeux en ligne.

Cette application, vous l’avez développé seul ?

Oui, je m’étais d’abord tourné vers des écoles de développement web pour être aidé par leurs étudiants. Mais ceux-ci étaient soit en fin de formation et n’avaient pas le temps, soit en début de formation et n’avaient pas les compétences, soit ils ne comprenaient pas ma démarche. J’ai finalement décidé d’apprendre à coder moi-même et j’ai développé un premier prototype de l’application.

Avez-vous été aidé dans votre projet ?

La caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), qui est confrontée à la situation d’analphabétisme de nombreux allocataires, a été intéressée par mon projet. Elle m’a fourni un accompagnement matériel pour développer de premiers kits et les tester sur un échantillon de 200 personnes à travers la France.


J’ai ensuite eu la chance d’être accepté par l’accélérateur francilien « The Family ». J’y ai été aidé à structurer mon projet et à lancer une campagne de financement participatif. Elle a permis de financer 1 000 kits, qui ont été confiés à des associations volontaires.

Avez-vous obtenus des subventions ?

Non, c’est très compliqué. Tout ce que j’ai fait pour Solodou, je l’ai fait avec mes propres moyens. Alors que je touche le RSA… Je regrette de n’avoir reçu de financement d’aucune institution, alors même que mon projet est un projet social et solidaire, qui a de l’impact.

Vous êtes lauréat du concours Talents des cités 2019, pourquoi vous y être présenté et qu’est-ce que cela vous a apporté ?

L’idée de participer au concours vient d’un conseiller du réseau BGE qui m’a accompagné à La Fabrique de Cachan (94). Il a été une des premières personnes à croire en moi et en mon projet. Mais j’ai laissé passer du temps et je ne me suis finalement présenté au concours que des années plus tard.


Ce que Talents des cités m’a apporté ? D’abord la reconnaissance de tout ce qui a été mené. Ensuite de la visibilité, ainsi que de la crédibilité auprès des institutions et des entreprises qui peuvent financer le projet.

Quels sont vos futurs projets pour Solodou ?

Je viens de débuter une étape de levée de fonds. L’objectif est d’avoir des locaux et de pouvoir recruter une dizaine de personnes. Car à terme, Solodou représentera quatre applications, contenant 11 programmes, et trois niveaux d’apprentissage. Je souhaite aussi pouvoir proposer des solutions à tous les secteurs professionnels qui rencontrent des problèmes d’analphabétisme. 


Le projet de Solodou vise à résoudre un problème qui concerne trois millions de personnes en France, dont une grande proportion de migrants. Et à l’échelle du monde, l’analphabétisme touche 800 millions de personnes dont une grande partie vit en Afrique subsaharienne.


Propos recueillis par Raphaëlle Pienne (décembre 2019).

 

Crédits photos : Ousmane Bah et Takis Candilis, Producteur et Directeur des programmes de France Télévisions, lors de la cérémonie nationale de remise du prix Talents des cités ©David Delaporte ; portrait d'Ousmane Bah ©Karine Péron Le Ouay.